Politiques publiques - Au niveau municipal -
Paris : action de prévention des mariages forcés menée par l’Observatoire de l’égalité entre les femmes et les hommes
En 2005, un constat a été fait sur la situation à Paris au sujet des mariages forcés :
d’une part, des associations dénonçaient la recrudescence des mariages forcés et, grâce à des réseaux qu’elles avaient constituées elles-mêmes, arrivaient à mettre à l’abri des jeunes femmes, dans des foyers de jeunes travailleurs, des CHRS et autres structures, mais sans l’appui des services publics ;
d’autre part, les services sociaux départementaux polyvalents, et le service de l’aide sociale à l’enfance étaient dans un certain déni du phénomène : ils nous expliquaient qu’il y avait 2 ou 3 cas par an, que ce n’était pas la peine de se mobiliser sur ce sujet, et surtout ils n’intégraient pas la question des mariages forcés dans leurs statistiques et leurs évaluations ;
quant aux services qui faisaient office de services sociaux, comme les missions locales, le service du fond d’aide aux jeunes, la prévention spécialisée et des services d’urgence (par exemple, des permanences pour les femmes sans domicile fixe, des associations pour les jeunes en rupture), ils connaissaient bien la problématique, étaient confrontés souvent dans l’urgence à des mariages forcés ou à leurs conséquences, coopéraient entre eux et avec les associations, mais peinaient à se faire entendre des services sociaux classiques ;
enfin, des mairies d’arrondissement qui avaient déjà été confrontées à des mariages forcés et avaient averti le procureur, étaient en demande de moyens et de partenaires pour aider les jeunes filles. Parce que lorsque le mariage forcé est signalé et dénoncé, que faire avec la fille qui ne peut pas rester dans sa famille ? Il y avait une crainte globale que les situations leur échappent faute d’avoir compris les signaux d’alerte. De plus, ce problème est délicat : aussi bien au niveau des services, des élu/es, il existe une appréhension à ne pas savoir traiter le problème sans stigmatiser les populations concernées, ainsi que la crainte de procéder à un amalgame entre mariage forcé et mariage blanc. D’autant plus qu’il est vrai que le mariage forcé des jeunes filles peut aussi être une « aide » au séjour de jeunes venus des pays d’origine.
Un plan d’action en 3 axes principaux a alors été présenté lors de la journée internationale contre les violences faites aux femmes.
Construction des partenariats
La campagne de prévention et de lutte contre les mariages forcés illustre des situations qui peuvent paraître difficiles, et bloquées, mais sur lesquelles il est possible d’avancer grâce à des partenariats.
L’Observatoire a comme relais locaux les mairies d’arrondissement. Dans chaque mairie d’arrondissement, il y a un/e référent/e égalité hommes/femmes. Par exemple, la conseillère de Paris pour le 19e arrondissement, Violette Baranda s’avère l’interlocutrice principale de l’Observatoire de l’égalité entre les femmes et les hommes pour la mise en place des dispositifs qui doivent évidemment être basés localement. Car, il ne suffit pas de décret émanant du niveau central pour qu’il y ait une application. Il faut une mobilisation et un suivi au niveau local.
Une difficulté réside dans une double hiérarchie liée à cette particularité parisienne : Paris est à la fois ville et département. L’Observatoire travaille donc d’une part avec les mairies d’arrondissement, d’autre part avec les services du département, et il faut parvenir à les faire travailler ensemble.
Concrètement, lorsque l’Observatoire veut mettre en place un dispositif comme celui des mariages forcés, il faut s’assurer lors de la constitution du comité technique chargé de l’opération de réunir à la fois les élu/es d’arrondissement et/ou leurs représentant/es, des représentant/es des services concernés à la Ville et au Département (direction sociale de l’enfance et de la santé, direction de la jeunesse et des sports, direction des affaires juridiques), et évidemment les associations, à la fois les grandes associations dans le domaine des mariages forcés : le Planning Familial, le GAMS , « Ni putes, Ni soumises », mais aussi des associations locales en contact avec les femmes d’un quartier ou un certain type de femmes. Par exemple, l’association Elele qui s’adresse aux originaires de Turquie.
L’idée est donc de réunir toutes ces actrices et acteurs au lancement du dispositif pour définir une démarche commune : que voulons-nous dire aux jeunes filles victimes qui risquent un mariage forcé ? Que voulons-nous faire avec elles ? Comment voulons-nous le faire ?
Des relations mitigées avec l’Education Nationale
A Paris, les relations sont difficiles avec l’Education Nationale. Bien qu’il y ait un service dédié à l’égalité entre les filles et les garçons, il existe peu de partenariats avec le rectorat.
En revanche, d’excellentes relations peuvent exister avec certain/es proviseur/es, infirmier/es et assistant/es sociales/aux dans certains établissements.
Il est regrettable qu’il n’y ait pas une politique globale définie au niveau du rectorat. C’est l’un des prochains objectifs de l’Observatoire.
C’est une grande difficulté pour l’Observatoire de ne pas avoir de partenaires au niveau central avec l’Education Nationale, et de ne pouvoir s’appuyer que sur des partenariats locaux dont il ne sait jamais s’ils seront légitimés au niveau central.
Réalisation d’un guide à destination des élu/es confronté/es aux mariages forcés
La Ville de Paris publiera prochainement une brochure à destination des élu/es confronté/es aux mariages forcés, qui leur présentera leurs droits et devoirs dans ce domaine, et qui donnera aux élu/es et à leurs services les moyens existants, un rappel de la loi, un contact avec le procureur, pour aider les jeunes femmes qu’ils supposent, en les recevant à la mairie pour la publication des bancs, susceptibles d’être victimes d’un mariage forcé.
Ce guide sera diffusé aux élu/es, puis accompagnés d’une action de formation des élu/es parisien/nes, mais aussi des services d’État civil, puisque la loi permet aux élu/es de déléguer aux services d’Etat civil l’audition des futur/es marié/es dans les cas de suspicion de mariage forcé.
L’Observatoire de l’égalité entre les femmes et les hommes peut aussi être une aide aux élu/es. Ce guide, accompagné de la formation, est une action qui va tout à fait dans ce sens.
Propos d’Odile Morilleau, recueillis en novembre 2006