Politiques publiques - Au niveau départemental -
Seine-Saint-Denis (93) : un Observatoire des violences faites aux femmes
Création de l’Observatoire des violences faites aux femmes de la Seine-Saint-Denis
En 2007, l’Observatoire aura 5 ans. Il est né d’une volonté politique conjuguée au courage des associations et à la collaboration des services de l’Etat.
L’Observatoire n’est pas qu’un lieu d’observation, c’est aussi un lieu d’actions et de propositions d’actions. Il se réunit à peu près 2 fois par an, sans compter les réunions du Comité de pilotage. Là, se construisent des engagements dont la mise en œuvre est surveillée par les associations, et les militant/es de terrain impliqué/es dans la lutte contre les violences faites aux femmes.
Action contre les violences conjugales : l’hébergement
Concernant les violences dans le couple, la question de l’hébergement d’urgence est vraiment celle qui nous a été posée d’emblée. Pour y répondre, le Conseil Général en tant que tel s’appuie sur l’ensemble des associations que nous subventionnons, y compris sur ces dispositifs d’hébergement.
C’était une première réponse, mais insuffisante.
En 2005, l’Observatoire a pris l’engagement de nous adresser aux maires et au préfet.
Les maires ont fortement été incité à s’engager pour que chacun/e, sur son contingent de logements sociaux, réserve un appartement pour une femme victime de violences conjugales ou en sortie d’hébergement. Un certain nombre de maires ont répondu présent, mais pas tous.
Du côté du préfet, il n’y a pas eu de réponse.
Action à destination du personnel du Conseil Général
Dans toutes les collectivités locales, le personnel est massivement féminin. Or, au sein du Conseil général de Seine-Saint-Denis, il n’y avait pas de lieu où ces agentes du Département pouvaient parler des violences vécues ou trouver des réponses à ce sujet.
Une consultation pour les agent/es du département a donc été ouverte.
Ouverture d’une consultation de victimologie
Une consultation de victimologie pour les femmes du département a également été ouverte. Elle sera élargie aux enfants témoins de violences conjugales vécues par leur mère. En effet, assister à des violences au sein de sa propre famille n’est pas sans conséquence psychologiques. Par ailleurs, il peut aussi exister des conséquences en termes de reproduction des violences.
Les actes symboliques
Enfin, les actes symboliques sont importants. Désormais, à chaque fois que l’Observatoire a connaissance d’une agression qui peut aller jusqu’à une incapacité temporaire de travail, mais aussi jusqu’à la mort, il organise des marches silencieuses. Il se réunit de manière symbolique, soit sur le lieu de l’agression, soit avec les familles et les ami/es de la femme concernée.
En 2006, 8 femmes sont décédées en Seine-Saint-Denis sous les coups de leur compagnon ou de leur ex.
L’observatoire ne se réunit pas uniquement pour constater, mais parce que les manifestations publiques sensibilisent l’opinion. Par ce biais, des femmes, des jeunes filles, et aussi quelques hommes sont sensibilisé/es, et découvrent nos dispositifs, les réseaux, etc. Il ne faut pas oublier que, si des dispositifs existent, les moyens de les faire connaître ne suivent pas toujours.
Résistances, et débats
Il y a de moins en moins de résistance de la part des élu/es à se mobiliser contre les violences faites aux femmes. Ce qui manque désormais, ce sont les actes.
Du côté de l’Education Nationale, l’Observatoire travaille plus particulièrement avec la médecine scolaire et les infirmier/es scolaires. Ces dernier/es ont été une excellente porte d’entrée. En effet, ce sont elles/eux qui ont souvent le 1er témoignage des victimes de violences.
Du côté de l’inspection académique, l’Observatoire sent à la fois des avancées et des reculs. Les reculs ont été sentis en particulier quand l’Observatoire a voulu diffuser un questionnaire sur les violences en direction des jeunes filles, pour faire suite à l’ENVEFF. Il lui a été dit que certaines questions en pouvaient être posées, même de manière anonyme. Les réticences portées sur les révélations que pouvaient faire les jeunes filles et leurs conséquences : le signalement, puis la remontée de la chaîne de la responsabilité et la mise ne cause de ce qui n’a pas été vu dans les établissements scolaires.
Effectivement, la justice peut le faire, et il n’y a aucune raison de ne pas le faire.
Il y a parfois, non pas des résistances, mais des interrogations d’une partie de la population.
Quand l’Observatoire a lancé la campagne « les hommes parlent aux hommes », cette campagne où les hommes violents étaient interpellés, il y a eu beaucoup de réactions positives, mais aussi quelques résistances. Un certain nombre de personnes ont été choquées par cette campagne. Mais cela a permis le débat, et la parole à des hommes qui ont pris position et qui se sont impliqués. C’était très positif.
L’imbrication des combats – le rôle des hommes
Il ne faut surtout pas détacher ce combat contre les violences faites aux femmes d’autres types de combats. Il faut lutter sur tous les fronts parce qu’on peut être discriminé et discriminant. On peut subir soi-même en tant qu’homme des discriminations, mais être discriminant, sexiste, machiste, et violent envers les femmes.
Les violences faites aux femmes, ce n’est pas un sujet de fille. C’est un sujet de société. Et c’est aussi un sujet qui concerne les hommes.
Le contrat jeune majeur/e pour les jeunes filles menacées de mariage forcés et les jeunes sans-papiers
Le contrat jeune majeur/e est un outil très intéressant.
Il n’a pas été évident de discuter avec les éducatrices et éducateurs de l’aide sociale à l’enfance. En effet, le contrat jeune majeur/e arrive en général après une prise en charge par l’aide sociale à l’enfance de jeunes qui nous étaient déjà confiés. Il est très difficile de faire signer un contrat à une jeune majeure qui ne nous avait pas déjà été confiée. Par ailleurs, nous a inscrit le « contrat jeune majeur/e » dans un débat plus large que les mariages forcés. Nous avons décidé de mettre à disposition le dispositif « contrat jeune majeur/e » pour l’ensemble des jeunes de 18 à 21 ans qui risquent d’être expulsés.
En effet, le gouvernement a modifié la réglementation sur les enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance : les jeunes majeur/es étranger/es qui n’ont pas passé 3 ans protégé/es par l’aide sociale à l’enfance, sont potentiellement expulsables.
L’observatoire a donc réservé un certain nombre de places - des places de protection et de mise à l’abri – pour les jeunes majeur/es sans papiers. Cela permet de travailler avec elles/eux, d’espérer régulariser leur situation, et puis de parfaire ou de continuer une formation professionnelle - qu’elles/ils souhaitent repartir dans leur pays d’origine (ce qui peut arriver), ou qu’elles/ils souhaitent rester sur le territoire national.
Cela a été mis en discussion avec les travailleuses et travailleurs sociaux qui disent qu’un certain nombre de jeunes en situation régulière et/ou avec des problèmes sociaux classiques de sortie de dispositif d’aide sociale à l’enfance sont ainsi mis en concurrence avec les jeunes sans-papiers puisqu’il y a moins de place pour eux/elles.
En effet, parce qu’il y a urgence pour les jeunes filles menacées ou victimes de mariages forcés, et pour les enfants qui risquaient d’être expulsés, il fallait choisir des priorités.
La nécessité d’une prise de position au niveau national
Il n’est pas possible d’attendre la prise de conscience de chacune des assemblées départementales et de chacune des assemblées régionales. C’est donc un texte national qui pourra aider.
Dans le cadre de la refonte des programmes de l’Education Nationale, il faudrait une position sur la question de la représentation des femmes, des droits des femmes, des violences faites aux femmes, historiquement et sous toutes les latitudes. Il faut en parler et arrêter de se cacher derrière des figures symboliques comme Jeanne Hachette ou Louise Michel.
Les stages citoyens
Il faut saisir un dispositif mis en place dans le cadre de la loi PERBEN 2, une mesure alternative à l’incarcération ou à la peine : ce sont les stages citoyens.
Cela peut donner le meilleur et le pire. Il y a déjà eu un stage citoyen en Seine-Saint-Denis pour les primo-délinquants en matière de violences à l’égard des femmes. Le procureur Poiret qui est un homme remarquable sur ce sujet, a décidé que ces stages à destination des hommes qui avaient battu leur compagne seraient animés non pas seulement par un juge et la police, mais par des associations féministes. Il a ainsi fait intervenir le Mouvement Français pour le Planning Familial.
Il est possible d’investir partout ces dispositifs avec du contenu, pour faire de ces stages pas uniquement un endroit où on répète la loi, mais on parle, y compris avec des victimes.
Etudes
En France, nous manquons d’études sur les rapports sociaux de sexes, sur les conséquences des politiques mises en place. Nous manquons d’études chiffrées, notamment sur les conséquences économiques en matière de violences faites aux femmes : combien de jours d’ITT, combien de coûts à la sécurité sociale, etc. – comme en Suède où a été menée une expérience nationale.
Certain/es n’entendront que ce discours-là, notamment le patronat. Il faut leur montrer les conséquences des violences faites aux femmes sur les entreprises, et les avantages de la prévention.
Propos de Gilles Garnier, recueillis en novembre 2006