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Prises de position - Au niveau national -

Article de Francine Bavay et Geneviève Fraisse

La violence à l’encontre des femmes est une question politique. Vous avez mal lu, c’est sûr. La violence est une question politique, avez-vous déjà rectifié.

Cette affirmation court la campagne présidentielle. Sans doute, pensent-ils, les candidats, qu’il est inutile de préciser. Et pourtant : l’année dernière, une femme sur dix a été victime de violences conjugales, une femme sur cinq a été insultée, importunée sexuellement dans l’espace public.

La violence contre les femmes ? Une question que d’aucuns trouvent envahissante, déplacée. Ces procès pour violences sexuelles qui occupent les journaux, cette mise en justice du viol, ces pétitions contre le harcèlement des jeunes femmes, n’est-ce pas trop ? Invisible ou trop visible, la violence ? Privée surtout ? Donc pas publique !

Certains aiment parler d’une violence asexuée, neutre, générale, d’autres n’aiment pas parler de la violence sexuelle qui ternirait notre sexualité bien portante. Comment lutter sérieusement contre l’insécurité et les agressions si on les pense en ignorant que les femmes en sont grandement victimes et que la violence des jeunes et des moins jeunes est d’abord et avant tout masculine ?

La violence est sexuée parce que les vols comme les viols appartiennent d’abord aux hommes. Pures serions-nous, les femmes ? Non, ce n’est pas cela. Nous voulons souligner que la violence est sexuée, expression d’une société qui est, dans le monde entier, structurée par la domination masculine. Là est la question politique : il faut lutter contre la domination masculine.

Le paradoxe est que ce sont principalement des hommes qui, pour le moment, ont la charge politique de cette lutte, ici en France, comme là-bas en Afghanistan. Ce paradoxe historique ne nous a pas échappé. Pas plus qu’un autre paradoxe qui devrait sauter aux yeux de nos candidats : la parité a introduit une dose de sexuation dans l’espace du politique alors que les politiques sociales sont devenues totalement asexuées : qui veut bien se souvenir que la famille monoparentale d’aujourd’hui remplace la mère célibataire d’hier ? Qui veut bien souligner que le temps partiel et les travailleurs pauvres sont pour 80 % des femmes ? L’insécurité et la peur aussi se partagent inégalement entre les sexes ; dans l’espace privé comme dans l’espace public. Quarante-quatre pour cent des Franciliennes reconnaissent éviter les transports en commun. A l’heure de l’élection présidentielle française, l’Europe, malgré le désintérêt des candidats pour cette réalité aussi essentielle que passionnante, continue d’exister. La présidence espagnole du Conseil des ministres européen fait de la violence contre les femmes une priorité de l’agenda politique. Qui sait qu’en Grande-Bretagne une femme meurt tous les trois jours à la suite de violences domestiques ?

L’initiative politique est récente. Elle est une conséquence de la conférence onusienne de Pékin, d’un rapport d’initiative du Parlement européen en 1996, d’une décision de la Commission ensuite. L’Union européenne a mis en œuvre depuis 1997 le programme Daphné, qui vise à lutter contre la violence envers les enfants, les jeunes gens et les femmes.

Ces initiatives sont aussi le résultat d’une maturité féministe politique qui démontre enfin que les violences faites aux femmes ne relèvent pas d’un privé intouchable, de passions ambivalentes, mais tout simplement de faits bruts qui, du viol à la lapidation, du harcèlement sexuel à la prostitution, de l’insulte au mépris, sont les signes répétés d’un pouvoir de domination. L’enquête nationale sur les violences envers les femmes, menée collectivement par Maryse Jaspard depuis 1997, en a désormais chiffré l’ampleur en France. Le gouvernement a su souligner cette réalité... Mais est-ce pour autant une politique, est-ce pour autant intégré au débat politique sur l’insécurité ?

De l’autre côté des Pyrénées, en Espagne, là où on sait et reconnaît que la violence machiste tue plus que le terrorisme, on adhère à la politique de la Commission et du Parlement européens. C’est une priorité, disent-ils. De ce côté des Pyrénées, en France, la course au pouvoir ignore cette question. On se bouscule pour proposer la création de centres de placement pour lutter contre la délinquance juvénile. Mais qui dira le besoin de multiplier les places en centres d’accueil pour femmes violentées ?

Article paru dans l’édition du journal Le Monde du 8 mars 2002